Handicap et sexualité

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Handicap et Sexualité : Briser les Tabous


Il est toujours curieux de constater à quel point l'évolution des idées s'infiltre par strates dans la population générale. Cette analyse avait été faite par L. Boltanski à propos de l'hygiène et de l'éducation des jeunes enfants qui remarqua que le courant hygiéniste avait mis plusieurs décennies avant de toucher toutes les couches sociales.

Bien qu'il soit possible que ce même phénomène soit également à l'œuvre en ce qui concerne le contexte familial des personnes handicapées mentales, d'autres facteurs semblent nettement plus déterminants dans ce milieu.

En effet, en ce qui concerne la sexualité, le dénominateur commun constitué par la désignation de handicap mental enclot la population concernée dans une sorte de cocon protecteur qui fait souvent office de membrane imperméable aux questionnements et aux transformations survenus dans d'autres secteurs.

En tant que première institution garante de l'ordre social, la famille impose par définition un encadrement de la sexualité basé sur l'interdit de l'inceste mais aussi sur l'éducation, explicite ou tacite, à la vie affective, sexuelle et procréative extra familiale. Aujourd’hui, la nécessité d'élargir l'éducation sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles et de l'abus sexuel à tous les publics concernés se fait par délégation vers le système scolaire. Deux facteurs rendent cette délégation problématique pour la personne handicapée mentale : d'une part, la croyance erronée, discutée ci-dessus, que la personne handicapée mentale reste non seulement mentalement mais aussi sexuellement un enfant et, d'autre part, l'intensité de l'accompagnement quotidien au sein de la famille ou dans le cadre d'institutions spécialisées. Cela crée souvent un décalage fort tendu entre les exigences et les craintes parentales au sujet de la sexualité de leur « enfant », les désirs de ce dernier et la façon dont l'institution entend gérer cette question. Ce décalage existe pour tout adolescent ou jeune adulte, quelles que soient ses compétences intellectuelles. Toutefois, les espaces de liberté que peuvent représenter le monde extérieur et les échanges avec ses pairs à l'école ou dans des clubs de loisirs se trouvent souvent bien réduites pour la personne handicapée mentale en raison de l'intensité de cet accompagnement spécifique et en fonction du niveau de handicap.

Les divergences de point de vue sur le sujet de l'éducation sexuelle, entre l'institution et la famille « constatées déjà à l'école publique » se trouvent accentuées ici et, à la différence de la population scolaire ordinaire, peuvent se poursuivre tout au long de l'âge adulte.

Ces divergences conduisent parents et professionnels à une incompréhension réciproque voire à une rivalité qui se greffent souvent sur le sentiment mutuel, fonctionnant de façon interactive bien que rarement explicité, de n’être niés, en quelque sorte, dans leurs compétences ou leurs craintes.  En effet, tandis que les professionnels peuvent souffrir d’un manque de reconnaissance sociale et avoir l’impression que leurs difficultés ne sont pas assez prises en compte les parents quant à eux ont quelques fois un lourd passé « du moins le ressente-t-il comme tel » de heurts et d’humiliations diverses avec le corps médical et certains professionnels de ce secteur. Ce sont sûr de tels sentiments de déconsidération et de malaise identitaire que germent de nombreux conflits, lesquels deviennent d’autant plus aigus que les points de désaccords touchent à des zones particulièrement sensibles et où la responsabilité de chacun est à son niveau maximal. L’impasse dans laquelle se trouvent parfois placés les professionnels qui ayant connaissance de certains aspects de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées, ne peuvent s’autoriser à les transmettre, pour des raisons déontologiques ou par crainte d’une réaction négative des parents est une, et non des moindres, difficulté que rencontre bon nombre de professionnels et qui s’accroît lorsqu’il s’agit de comportements sexuels encore tabous.

 Un des problèmes majeurs dans l’accompagnement au quotidien de ces personnes, pour les équipes, réside dans la négation de la sexualité de leur enfant de la part des familles. Certains professionnels racontent qu’ils ont dû renoncer à continuer leur modeste action de prévention sous la menace de parents de porter plainte pour « incitation à la débauche ». Il n’était pas question, pour eux, de dire à la famille ce qu’ils savaient car cela aurait été trahir la confiance de l’usager et les explications généralistes n’étaient d’aucun effet sur les parents.

 

Certains, dont la conscience du risque encouru par les usagers était trop aiguë ont continué, néanmoins à faire de la prévention avec ou sans l’accord de leur hiérarchie. D’autres, travaillant dans ces lieux peu ouverts à ce genre de discussion ont renoncé ou préfèrent attendre que les choses évoluent. Il est à redouter que l’annonce, faite par les médias, que le sida allait devenir une maladie chronique grâce à la tri thérapie devienne le prétexte à faire passer la prévention de cette maladie et des maladies sexuellement transmissibles au rang de questions annexes. Ce genre d'effet d'annonce pourrait avoir les conséquences les plus dangereuses dans des lieux se manifestant déjà comme peu interventionnistes sur ce sujet. Il arrive parfois que des professionnels estiment qu’il est de leur devoir de protéger les adultes dont ils s’occupent contre l’irruption d’un discours sur la sexualité. Pour eux, ce serait faire violence à ces personnes que de leur « infliger » des vérités toutes nues. L’éducation sexuelle, la prévention des maladies sexuellement transmissibles pourraient, selon eux, les traumatiser puisqu’elles n’ont pas la moindre idée sur les choses du sexe.

 

Par ailleurs, La grande majorité des éducateurs affirme cependant que l’on n’a pas le droit de faire de la rétention d’informations et que l’on dispose de bien peu d’éléments pour juger qui est « apte » ou non à entendre tel ou tel discours et à s’approprier les pratiques préventives.

Ceci dit, Ce type de débat ne peut avoir lieu, on le comprendra, que dans un climat propice à la réflexion sur ce sujet ou lorsque les professionnels se sentent soutenus par la direction, compris par les parents dans une démarche d’accompagnement visant l’écoute, l’information et l’orientation à travers une éducation sexuelle.

 


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