Enjeux d’une éducation sexuelle spécialisée
Comment un enfant porteur d’une trisomie 21 perçoit-il son corps et comment vit-il son développement sexuel ? A quel moment faut-il en parler et de quelle façon doit-on aborder ce sujet tant avec l’enfant qu’avec les parents ? Faut-il déjà leur en parler ? Et leur parler de quoi ? Le «en» recouvre sa part de sous-entendus de discrétion, de pudeur, de secret aussi… parce que dans la vie en général, les mots de la sexualité – en dépit de sa vulgarisation tout relèvent de notre sphère privée. Faudrait-il donc déjà parler de tout cela aux enfants porteurs d’une trisomie 21, alors qu’au vu d’un certain nombre de leurs difficultés d’apprentissage, nous anticipons que de toute façon ils ne comprendraient pas et que tant d’autres acquisitions nous sembleraient prioritaires avant celles-ci ? C’est ce qu’expriment souvent les parents concernés. Il est vrai que, pour l’entourage de l’enfant porteur d’une trisomie 21. L’apprentissage du quotidien est un parcours jalonné d’urgences, et, pour y survivre, il faut le baliser de simplifications. De plus, force est de constater que l’enfant concerné ne peut être facilement « incarné » dans l’esprit de ses parents d’abord comme un petit garçon ou comme une petite fille, précisément à cause du handicap. Enfin, et toujours à cause d’une certaine incomplétude, cet enfant ne peut pas être fréquemment anticipé comme devenant un jour adolescent, puis adulte. Il ne serait donc pas utile d'en parler…
1. Quelques repères
Selon Denis Vaginay (2002), psychanalyste, la sexualité humaine se définit essentiellement dans la relation. Elle va même commencer à se construire dans la relation de dépendance, avant de s’exprimer dans une certaine indépendance. La dynamique reste la même pour la construction d’une identité sexuée chez tout enfant handicapé, mais elle va buter – plus ou moins rapidement – sur la question de la différence. L’identité sexuée sera alors plus difficile à élaborer, et son expression restera tributaire de l’indépendance acquise.
1.1 L’identification
Depuis
sa naissance et plus particulièrement dans les premières années de vie,
l’enfant porteur d’une trisomie 21 traverse – comme tous les enfants – un
processus d’identification par lequel il intègre à sa personnalité les
caractéristiques de son sexe, définies par sa famille et son milieu. La
découverte de la différence sexuelle chez l’enfant est toujours à la fois
source de curiosités, d’apprentissages et parfois aussi d’angoisses. Selon la
psychanalyste Simone Korff Sausse, on observe chez les enfants porteurs d’une
trisomie 21 – comme chez la plupart des enfants vivant avec un handicap mental
– la mise en œuvre partielle de ce processus classique, à la différence près
que, pour ces derniers, ils doivent en plus intégrer le handicap à la
compréhension de ce qu’ils sont. Elle poursuit en soulignant qu’au moment de sa
maturation, le trisomique vit sa trisomie comme l’équivalent de la différence
sexuelle. Il y a un parallèle entre la marque de l’anomalie et la marque du
sexe, avec une confusion entre cette différence d’ordre génétique et différence
sexuelle. Toujours selon Korff Sausse (1997), dans le psychisme de l’enfant, le
lien entre handicap et sexualité est présent dès les premières années.
Le handicap, ici la trisomie
21, sera vécu par l’enfant comme une nouvelle différence, souvent source
d’interrogations, de dénis et de révoltes. Dans nos termes, cela se traduirait
par « Pourquoi suis-je né ainsi ? Qui a engendré cela ? Et
comment ?». En conséquence, le handicap réactive, intensifie et accentue
cette épreuve fondamentale sur le chemin de l’identification.
Ces facteurs nous incitent à penser qu’aborder les questions fondamentales de la vie aide à organiser et à consolider cette identité souvent très fragmentée de l’enfant porteur d’une trisomie 21.
1.2 La
curiosité sexuelle
Les
enfants porteurs d’une trisomie 21 ne sont ni dépourvus de curiosité sexuelle,
ni d’une curiosité sexuelle extraordinaire ! Mais, le plus souvent, soit ils ne
peuvent rien nous en dire par manque de codes compréhensibles de notre part,
soit ils nous la traduisent sans pudeur, sans filtre et souvent sans émotion
apparente. Lorsque cette curiosité ne peut se parler, elle est parfois mise en
scène : l’enfant glisse sa main dans sa culotte, cherche à regarder ou au
contraire détourne justement les yeux, pose toujours un doigt sur l’entrejambe
nu de la poupée.
Il y a donc un monde à raconter, à jouer et à imager et, si le jeune enfant porteur d’une trisomie 21 peut entendre et apprendre le vocabulaire du schéma corporel, il n’y a pas de raison de lui épargner celui du corps intime et nous pouvons d’emblée prononcer des mots comme « fesses, pénis, vagin ». Il est bien clair qu’un savoir objectif sur la sexualité n’empêchera pas les enfants d’avoir des théories sexuelles irrationnelles, personnelles et changeantes sur la façon, par exemple, dont les bébés arrivent au monde ! Il en est de même pour les théories échafaudées parfois par les enfants porteurs d’une trisomie 21 pour s’expliquer leur handicap, et qui relèvent de constructions explicatives fantaisistes, la plupart du temps très peu conformes aux informations rationnelles ou médicales dont ils disposent ! Mais ce n’est pas une raison de ne pas en parler…
1.3 Le rapport au corps
Selon Elisabeth Zucman, médecin de réadaptation fonctionnelle, « le corps peut être à la fois sa prison et son maître ». « Prison de silence, de rigidités, de manipulations souvent intrusives. Maître de la communication avec l même et avec son entourage, parfois clef d’attachement intense, parfois trop serré dans les liens réciproques qui le nouent à ses parents, à ses éducateurs ».
Compréhension du
corps :
Pour un certain nombre d’enfants porteurs de trisomie 21, les manifestations de leur corps sont vécues comme chaotiques et ils n’en comprennent pas l’entière légitimité. Ceci d’autant plus que le corps es encore normalement objet de soins et plus longuement dans le temps q pour tout autre enfant !
Réaction au corps :
Lorsque les manifestations de la sexualité font parler le corps, l’enfant porteur d’une trisomie 21 et son entourage sont mis face à une distors ils sont confrontés à la fois à l’expression de la pulsion de vie qui devrait être reconnue comme normale – et même signe de bonne santé et à laquelle le tiers aurait envie de répondre positivement, mais à la fois à une peur d’y répondre, car le geste est souvent traduit avec un man évident de retenue et il bute contre le silence porté sur le corps intime parce qu’il est tabou, soit parce que relégué à «plus tard ; il sera bien tôt !»
Respect du corps :
Les difficultés rencontrées par les enfants handicapés concernant le rapport au corps se révèlent parfois par un manque d’attention, de s par l’ignorance des parties intimes de leur corps.
Limites du corps :
Les limites de leur corps peuvent être peu claires, et leur intimité r investie. Ainsi, des comportements de type exhibitionniste semble s’expliquer par une non-intégration des règles sociales autour du corps intime que comme une recherche de provocation. Si l'on ne met pas en mots, en images, on laisse le corps de l'enfant porteur d'une trisomie 21 parler tout seul. Avec des comportements, un four-devenu adolescent, qui peut-être donneront le vertige...
2. Education sexuelle spécialisée
Le Dr. Stanislas Tomkiewicz, psychiatre,
affirmait : « Faire de l'éducation sexuelle est une tâche impossible et
cependant indispensable ! ».
Donner
de l'éducation sexuelle aux enfants porteurs d'une trisomie 21 n'est pas tant
de savoir que leur dire, mais bien qu'il faut le leur dire et, surtout, comment
le leur dire. Cette éducation est majoritairement centrée sur la facilitation à
mettre en mots et en actes adéquats l'énergie vitale qui traverse l'enfant,
afin d'établir des relations humaines respectueuses du territoire sexuel,
affectif et social de chacun. L'accompagnement et la connaissance du corps
intime se prodiguent au travers des jeux et par des paroles entendues lors des
soins et de l'habillage, mais aussi, petit à petit, dans des animations
éducatives. Ils contribueront à construire l'identité sexuée de l'enfant
porteur de trisomie 21, en complément de la seule identité handicapée de ce
dernier. Ils contribueront à construire l'identité sexuée de l'enfant porteur
de trisomie 21, en complément de la seule identité handicapée de ce dernier.
Très
jeune aussi, l'enfant concerné devra apprendre quels comportements sont
acceptables et ceux qui ne le seraient pas; de même, quelles parties du
comportement des personnes publiques : < Qui peut-on être tout
nu ? Qui peut-on embrasser ? Qui
puis-je me toucher ? Etc…>
Il
faut rester très simple et ne nommer que les parties de l’anatomie externe. Ne
jamais présenter d’images tronquées, de zones du corps en schémas. Si l’enfant
ne formule aucun ou très peu de langage, il faut visualiser les consignes, les
règles. Des pictogrammes sont donc à créer ! Plus tard, en cours de
scolarisation spécialisée, l’éducation sexuelle spécialisée doit se donner dans
une proximité et une simplification suffisantes, par une personne extérieure,
affectivement neutre. La tâche doit être ici partagée et relayée. Les mots mis
sur les érections spontanées des garçons, sur la curiosité, sur la différence
entre les sexes, puis, à l’adolescence, sur les seins, sur les règles et les
éjaculations, etc… calment les angoisses existentielles des uns et des autres.
Ainsi, le corps ne se résume plus seulement à un corps à soigner et à assister.
Un
programme d’éducation sexuelle spécialisée doit aussi :
_ Permettre à l’enfant de se
sentir fille ou garçon.
_ Lui donner l’occasion de
mieux connaître son corps en général et son corps intime.
_ L’aider à identifier ses
émotions et ses sentiments et leurs répercussions physiologiques.
_ Reconnaître et
développer ses capacités à créer des liens.
_ Lui faire sentir son
appartenance à sa famille, à un groupe.
_ Lui faire connaître ses
droits et ses devoirs.
L’éducation sexuelle spécialisée collabore à faire savoir à l’enfant porteur d’une trisomie 21 qu’il est important.
3. Comment leur en parler ?
Comment
imaginer un entourage parental et professionnel réagissant d’emblée
adéquatement dans des domaines aussi sensibles ? Comment faire l’économie
de sa réflexion personnelle, alors que les manifestations de la sexualité
humaine nous confrontent à notre pudeur, à nos valeurs et à nos
croyances ? Comment créer du matériel d’animation, utiliser des images du
corps Intime, nommer le sexe, entendre les peines du cœur, transmettre des
savoirs qui relèvent de la sphère privée, sans s’être forgé des outils
personnels pour aborder ces thématiques délicates ?
Il faut pouvoir s’approprier
un « module qui équipe » pour « des suivis équipés ».
La
sensibilisation aux professionnels est un processus d’ouverture dans une
institution. Elle constitue un « ancrage » entre les différents partenaires éducatifs
qui permet « que cela ne soit plus vraiment comme avant ». Le processus de
formation suit une logique, qui consiste d’abord en un travail de prise
conscience personnelle, qui tendra ensuite progressivement à transformer le
regard. Cette transformation du regard permettra une réduction du décalage en
vue d’une meilleure adéquation lors de l’étape des prises de décision.
Enfin, ce processus entraînera pour les professionnels une augmentation des habiletés, du mieux-être et du sentiment de sécurité des professionnels.
3.1 La prise de conscience
Nous
évoquerons les échos de nos peurs, dont les lointaines racines relèvent de
tabous archaïques et d’expériences personnelles passées, afin de pouvoir donner
par la suite une ouverture aux expressions multiples de la sexualité des
enfants et adolescents handicapés.
Nous
aborderons donc le thème crucial des tabous sexuels qui sous-tendent la
majorité de nos comportements sexuels, et nous prendrons donc du temps pour les
participants, afin qu'ils en apprennent plus de la sexualité humaine et qu'ils
puissent y confronter leurs croyances.
Parler des inquiétudes des parents, des éducateurs, c'est aussi les légitimer. Car il est tellement humain de se sentir touché et concerné par les manifestations de la sexualité de l'autre. Ce n'est en tout cas jamais neutre.
3.2 La transformation du
regard
Elle
se fera avant tout à l'intérieur de chacun, afin d'apprendre à parfois lâcher
prise sur nos valeurs et à ne pas hiérarchiser les comportements sexuels visant
au bien-être et à l'épanouissement.
La transformation de notre
regard contribuera à réfléchir au sens de ce que l'on dit ou fait, en le
reconnaissant et en le faisant comprendre. Et elle nous permettra, petit à
petit, de réaliser que très souvent expression de la sexualité de l'enfant handicapé
est bien plus un pour ce dernier qu’un handicap de plus.
A partir des représentations que les professionnels se font des deux pôles de la sexualité et du handicap, nous prendrons conscience que la sexualité, même si elle n’est pas toujours et totalement épanouissante, est néanmoins une composante fondamentale de la vie.
3.3 La réduction du décalage
Le
décalage se situe également au niveau de nos représentations en confrontation à
la réalité individuelle vécue par chaque enfant handicapé, à savoir son
parcours de vie, son appartenance sociale, culturelle, religieuse, etc…
Selon
la lecture du témoin entre les intentions réelles et l’interprétation qui en
est faite, il peut y avoir décalage entre l’émetteur et le récepteur ! La
réduction de ce décalage consiste en un mouvement de la pensée qui tendra à
nuancer nos craintes, nos espoirs trop fous parfois aussi, nos rejets et nos
envies, notre impatience ou notre lenteur, pour mieux voir le corps vécu à son
rythme, le cœur vibrer selon ses désirs, les tentatives maladroites de
recherche de tendresse s’exprimer sans forcément une intention malsaine.
La
réduction du décalage permet la révélation de l’infinité des nuances. Bien sûr
que cette étape est la plus délicate, puisqu’on ne sait de loin pas toujours
quel est le besoin profond exprimé par l’enfant concerné.
S’il est vrai qu’un bon nombre de gestes et manifestations sexuels sont repérables, bon nombre aussi de ces comportements ne sont peut-être que des actes-miroirs de ce que l’on imagine pour lui. Ainsi, dans la réduction du décalage, un facteur d’incertitude existe ; un risque d’erreur, d’imprévu, reste donc toujours possible.
3.4 La prise de décisions
Les
décisions à prendre ensuite, seront le fruit d’un partage entre professionnels
qui auront pu se dire « quelque chose d’eux-mêmes » en dépit du tabou et, en
conséquence, réagiront d’une manière nouvellement conscientisée, plus nuancée,
plus respectueuse des besoins personnels des enfants vivant avec la trisomie
21, mais des leurs également.
Nous
aurons inévitablement à nous poser la question du risque : Qui prendra
quel risque ? Quelle implication revient aux parents, aux éducateurs du
quotidien, aux enseignants spécialisés ?
Car tous les risques ne sont pas à prendre, et nous avons à nous les répartir. Mais aussi, lorsqu’il n’y a pas de risque, il n’y a pas de plaisir !
3.5 L’augmentation des
habiletés
Du
mieux-être, du sentiment de sécurité S’équiper, c’est ne pas rester seul c’est
se ménager du temps et des lieux pour la réflexion, le partage des émotions de
chacun et l’identification des réels besoins.
S’équiper, c’est s’assurer la reconnaissance de nos actes dans ces domaines sensibles, avec la pluralité des acteurs en présence, ces nombreux tiers souvent présents dans le quotidien de l’enfant porteur de trisomie 21. S’équiper, c’est aussi construire un consensus éthique et le consigner dans des recommandations écrites, négociables au fil des ans selon la mouvance et la maturité des équipes. Mais, également, selon nom société en marche.
4. Aspects éthiques
L’éducation
sexuelle spécialisée est un domaine délicat, qui relève de formations
spécifiques et de points de repères dans le savoir-être. C’est aussi ce que
définit Elisabeth Zucman, lorsqu’elle évoque l’éthique professionnelle, dont
les repères ci-dessous sont transposables dans le large champ de l’éducation
sexuelle spécialisée :
-Donner à l’enfant, puis à
l’adolescent, un rôle le plus actif possible, grâce à l’exercice de ses choix
et à la connaissance de ce qui le concerne.
-Lui proposer des
explications qui lui soient utiles et vérifier qu’elles ne soient pas
nuisibles.
-Réduire les inégalités à
travers ces actions, et ne pas en provoquer de nouvelles.
-Evaluer régulièrement ce
que l’on fait
Il faut en parler… en pensant à bien plus tard, lorsqu’il sera temps de faire face par exemple an deuil de la procréation, parce qu’elle serait effectivement impossible !
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Pour en
savoir plus…
Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue
spécialisée