La
Sanction Educative : Le sens de la sanction
Le règne de l’autoritarisme, même si les thèmes de la
répression et de la discipline sont de retour, est mis à mal et ses nuisances
reconnues. Aujourd’hui, l’éducation distingue la sanction qui s’attache à l’acte,
de la punition qui s’en prend à la personne. Les parents comme les
professionnels reconnaissent que sans légitimité il est impossible d’asseoir
leur autorité et de faire accepter une sanction. Une légitimité qui se gagne
dans le respect, la fermeté et la prise de conscience de l’acte commis.
L’autoritarisme qui domina longtemps le monde de
l’éducation (l’enfant ne parlait à la table familiale que pour répondre aux
questions que lui posaient les adultes) a pu trouver son antinomie dans
l’enfant-roi (à qui on ne refuse rien et qui fait ce qui lui plaît quand il le
veut). Entre ces deux extrémités, l’on trouve de nombreuses situations
intermédiaires. Au cœur de l’attitude propre à chaque éducateur (familles,
enseignants, travailleurs sociaux), il y a la question de la sanction et sa
forme répressive, la punition. Là encore, entre qui aime bien, châtie bien qui
resta un leitmotiv pendant des millénaires et le slogan de 1968 il est interdit
d’interdire, toute une palette de comportements se déploie.
Quête
de l’autonomie
Commençons donc par le commencement et plus
particulièrement par ce qui attend l’enfant. La construction de son psychisme
est étroitement liée à la présence rassurante de l’adulte à ses côtés, expliqua
Sabine Domenichino, Pédopsychiatre. Si le fætus est très vite compétent,
apprenant dès le troisième mois de grossesse à faire des galipettes et à sucer
son pouce, le bébé n’a rien à lui envier, lui qui, dès la naissance, montre des
aptitudes innées, comme fixer les visages, vocaliser ou établir un contact du
regard. Cette recherche relationnelle tient à un équipement qui a la
particularité de ne pouvoir se développer
Pleinement qu’en interaction avec son environnement.
C’est que la part de l’instinct dans l’humanisation du petit humain est minime,
en comparaison de tout ce que va lui apporter sa confrontation à ses parents,
puis à ses pairs. Le bébé peut réussir à gérer tout seul ses émotions
positives. Pour ce qui est des sentiments négatifs susceptibles de le
terroriser, il a impérativement besoin de l’aide de l’adulte, seul capable de
mettre de l’ordre dans le chaos qui l’assaille alors. C’est dès ce moment que
commence l’œuvre éducative qui va mener l’enfant vers l’autonomie tant physique
que psychique, autonomie qui doit lui permettre non seulement de décider de
suivre ou de déroger à une loi, mais aussi d’assumer les conséquences de ses
choix. Ce rôle de sécurisation de la part de l’adulte, qui fixe les limites de
ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas, est l’une des constantes universelles
qui permet de structurer ce que deviendra l’enfant.
Enjeu de la soumission
Voilà donc le bébé dans un rapport de grande dépendance à
l’égard des adultes qui l’entourent. La qualité des relations que ces derniers
tisseront autour de lui a fait l’objet d’une recherche initiée par John Bolby,
pédiatre et psychanalyste anglais, qui distingua entre un attachement sécure et
un attachement insécure ambivalent ou désorganisé annonciateurs d’un (dés)
équilibre potentiel à l’âge adulte. Un autre psychanalyste, Serge Lesourd, a
rappelé ce qui relie cet attachement à la punition. Au-delà du désagrément que
cette dernière implique, ce qui incite l’enfant à renoncer à une partie de son
plaisir, c’est la crainte de perdre l’amour des adultes qui s’occupent de lui
et dont le retrait est perçu comme une menace vitale. La soumission et
l’adéquation aux exigences qui lui sont présentées constituent autant de
garanties au maintien de cette présence. Le punisseur et le puni doivent
accepter la perte temporaire de l’amour, permettant à l’enfant, en s’adaptant,
de le récupérer. C’est justement dans cette reconquête possible que se situe
l’efficacité de la punition. Mais, note Serge Lesourd, notre lien social
postmoderne inverse les rôles. En craignant de perdre l’amour de son enfant
s’il le punit, l’adulte voit son narcissisme être mis en jeu. Il agit comme
s’il ne pouvait se passer de l’affection inconditionnelle de l’enfant I D’où un
désarroi certain face aux transgressions enfantines que certains parents
n’osent plus sanctionner.
Mais, pour sanctionner une transgression, faut-il encore
savoir en quoi elle consiste. Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile,
définit ce manquement comme un acte ou une parole délibérés qui s'opposent à
une loi ou à une règle. Bien difficile d'évaluer un tel comportement. D'abord,
parce qu'il apparaît d'une grande banalité : chacun transgresse à un moment ou
à un autre, même si pour l'essentiel, c'est de façon éparse et bénigne.
Personne n'est pourtant à l'abri d'un dérapage bien plus grave. S'il y a bien
un ressenti universel, ce sont ces pulsions sexuelles ou agressives, que la
plupart d'entre nous réussissons à limiter à la sphère de nos désirs.
La
sanction éducative
Après avoir tenté de circonvenir la transgression, il
fallait faire de même avec la sanction. Eirik Prairat, professeur en sciences
de l'éducation et auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet, remplit fort bien
cet office. Penser la sanction, c'est réfléchir à son contexte en intégrant
l'amont l'aval et la question éthique, explique-t-il.
Et, tout de suite, il écarte le champ de la morale qui
ignore tant la rétribution que la compensation. La sanction est inscrite dans
le monde de la règle et de la loi. Effectivement, ce concept prendra d’abord,
au XVIIIe siècle, le sens de peine ou récompense prévue pour assurer
l’exécution d’une loi. Pendant longtemps, c’est son expression répressive qui
sera privilégiée, l’acte d’éducation étant réduit à la violence, à la
coercition et aux brimades qui étaient exercées pour l’accomplir. Mais que la
sanction soit éducative ou répressive, elle a toujours une fonction de dissuasion
par rapport à l’expression spontanée des pulsions. Sa finalité est d’abord
politique : affirmer la centralité de la loi et de la règle tout autant
que la cohésion et l’identité du groupe. Elle est ensuite éthique : faire
advenir un sujet responsable à même d’assumer les conséquences de ses actes.
Elle est enfin psychosociale : être un cran d’arrêt à une dérive
régressive ou à la toute- puissance. Il s’agit d’apporter une réponse à un
comportement problématique et ouvrir sur une autre temporalité et non y
enfermer le sujet. Pour qu’une sanction réponde à ces finalités, encore faut-il
qu’elle réponde à quatre règles importantes.
Les
quatre règles d’or
La sanction doit, tout d’abord, donner à penser et non à
voir ; et donc renoncer tant au spectaculaire, qu’à la mise en scène ou à
l’édification du groupe. S’il n’y a pas de sanction exemplaire, mais que des
punisseurs exemplaires, c’est parce que ce qui doit toujours être privilégié,
c’est le sens donné par une parole établissant une relation avec la
transgression. La sanction n’a pas l’obligation d’être admise, du moment
qu’elle est comprise. Cette compréhension peut se manifester tardivement, ses
effets ayant un rôle bien plus structurant qu’on ne l’imagine. En cela, la
sanction se distingue de la vengeance qui, elle, est silencieuse et ne
s’annonce pas forcément. Seconde règle, la sanction porte sur des actes :
on sanctionne un manquement à un contrat social, pas celui qui s’en est rendu
coupable, l’indignité de ce qui a été commis et non l’indignité de son auteur,
le vol…Me et non le voleur. Le sujet doit bénéficier d’une bienveillance
inconditionnelle. C’est sur ses conduites que s’exerce l’intolérance. On
préserve ainsi l’infracteur d’une culpabilité ontologique qui porterait sur sa
personne, sur son manque ou son déficit. Troisième règle, la sanction doit
apparaître comme privative d’un avantage, d’une joie ou d’un droit partagé
(comme être avec ses pairs). S’il y a là une inévitable source de frustration,
il ne peut y avoir d’humiliation. Aristote expliquait qu’il y a une bonne
honte, c’est celle qui freine les attitudes, sans altérer la personnalité.
Dernière règle d’une sanction qui se veut éducative : un geste à
l’intention de la victime. Ce qu’il est de coutume d’appeler la réparation,
permet non seulement de compenser le tort commis, mais aussi, par un acte
positif, de réintégrer le lien social.
Pour Eirick Prairat, la
sanction devrait être considérée comme une perspective d’étude de l’éducation.
Faire de la sanction scolaire un double de la sanction pénale est, selon
Prairat, une erreur parce que :
-il y a une spécificité de l’espace scolaire
du fait de son caractère de transmission Spécifique entre des adultes et des
enfants
-ce qui est transmis est
consigné dans des textes et des programmes
-l’école est un lieu
intermédiaire et n’est pas le monde (Arendt), l’école est un lieu tuc
d’exercice et de répétition, elle est un lieu d’hospitalité.
Cet auteur s’essaie à une
analyse de la sanction en 3 points :
Fondement de la sanction :
Qu’est ce qui légitime la sanction ? Il faut distinguer droit et morale.
La morale ignore la punition. Fonder la sanction, c’est la ramener dans son
domaine de légitimité là où existent des règles visibles et lisibles. La réflexion
sur le Ri est fondamentale. Penser la sanction, c’est penser beaucoup plus
qu’elle.
Finalité :
comment sanctionner ? Il faut distinguer la fonction (réassurance) et la
finalité de la sanction (3 fins : politique, éthique et psychologique).
Politique : la
sanction n’est pas rusée pour renforcer des dominances mais vise à réaffirmer
la centralité de la règle et du vivre à côté, la cohésion du groupe. Ethique.
Il s'agit de responsabiliser, de faire advenir un individu responsable psychologique.
Une sanction est un coup d’arrêt, une cassure d’un cycle et l’ouverture d’un
autre moment. La sanction est aussi scansion…
Caractéristiques : Il
existe 4 grandes caractéristiques de la sanction mais elles ne garantissent pas
le caractère éducatif de la sanction :
1.
La
signification. Il faut qu’une sanction soit adressée à un
sujet, il n’y a pas de sanction exemplaire en matière d’éducation, il faut
renoncer à l’exemplarité et à la mise en scène en maintenant la gravité. Toute
sanction doit être expliquée, elle doit passer par la parole
2.
L’objectivation.
Elle doit porter sur un acte, un manquement à une règle ou à un contrat et non
un sujet. Respecter un sujet ne signifie pas forcément tolérer ses actes.
3.
La
privation. Elle doit prendre une forme
privative : un droit, une opportunité, une joie. Elle ne doit pas porter
la honte.
4.
La
re-socialisation. Elle doit s’accompagner d’un geste à
l’attention de la victime. La réparation transforme un subir en un agir et elle
permet de SE réparer.
Pour en savoir plus…
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